Mémorial départemental pour la guerre d’Algérie

Intervention de Marie Catherine Poirier au nom d’EELV lors du Conseil municipal du 3 juillet 2013

Mesdames, Messieurs, élu-e-s et non élue-s,

Les débats les plus approfondis en cette instance ne sont pas toujours ceux qui portent sur des grands projets et des grandes dépenses, mais aussi sur des décisions symboliques, même peu coûteuses. C’est normal car l’être humain ne vit pas que de biens matériels, d’argent, mais aussi de symboles, qui le touchent dans son cœur et dans son esprit.
Nous sommes ce soir saisis pour que la commune de Clamart participe « à l’édification d’un mémorial départemental des anciens combattants des théâtres d’opérations d’Afrique du Nord » à Nanterre. Une association « Mémorial AFN 92 » a été créée en 2009 pour réaliser ce projet et propose aux communes de participer à la réalisation de ce mémorial. Le CG92 va participer à hauteur de 23 % soit 34 500 euros sur les 150000 euros que coûtera le monument. Les communes qui le veulent participeront en proportion du nombre de « combattants tombés en Algérie, Maroc et Tunisie entre 1952 et 1962 », soit 13 pour Clamart.

Il ne s’agit bien sûr nullement de nier les souffrances vécues par tous les membres de l’Armée française qui ont combattu sur les « théâtres d’opérations d’Afrique du Nord », ni de refuser de se souvenir de ceux qui sont morts durant cette période, laissant des familles en deuil, ayant perdu un père, un mari, un frère ou un fils, beaucoup de combattants, surtout des appelés, n’ayant  pas atteint l’âge de 20 ans. Etant moi-même mère, en plus d’élue, ce souvenir, quelle que soit la guerre concernée, m’est toujours un crève-cœur quand je pense aux familles ainsi touchées. Et vous savez toutes et tous que je participe depuis très longtemps, avant même d’avoir été élue municipale, à de nombreuses cérémonies du souvenir, le « devoir de mémoire » étant pour moi une impérieuse nécessité pour tirer les leçons du passé afin de préparer l’avenir. Cela peut paraître assez banal et surfait de dire cela, mais c’est ce que je pense profondément.

Toutefois, ce souvenir douloureux ne doit pas nous empêcher de penser et il doit même nous obliger à penser, justement pour éclairer notre avenir.
Et quand on pense, que voit-on? :
que « les théâtres d’opérations d’Afrique du Nord » ont un caractère particulier par rapport à d’autres « théâtres d’opérations » : ils concernaient des conflits d’indépendance, de la part d’habitants français des départements français d’Algérie et du Sahara et d’habitants des protectorats français du Maroc et de la Tunisie,
que ces conflits, et tout particulièrement la guerre d’Algérie, a été une guerre civile, et même, selon certains, une double guerre civile, entre communautés d’une part et au sein de plusieurs communautés d’autre part,
que ces conflits ont conduit à 23000 soldats « morts pour la France » et à plusieurs centaines de milliers de morts de combattants pour l’indépendance, sans compter toutes les victimes civiles…
que ces combats meurtriers ont été le fait de la France en tant qu’État colonial, qui ne voulait pas perdre des territoires de son Empire, ceci même au prix de nombreuses pertes humaines de tous côtés, de pratiques inacceptables dont la torture, d’une politique de terre brûlée, alors même que le 8 mai 1945, les manifestants de Sétif avaient cru que l’esprit de la Résistance contre les Nazis allait aussi toucher leurs territoires, avec le droit à l’autodétermination des peuples…
que la France n’a pas fini de tirer toutes les leçons de cette période meurtrière.
Le devoir de mémoire, c’est regarder son passé en face, quel qu’il soit et ce que nous exigeons de l’Allemagne par rapport au nazisme ou de la Turquie par rapport au génocide arménien, nous devons l’exiger de notre pays par rapport aux guerres coloniales.

Nous, groupe EELV, nous sommes contre un monument qui ne montre qu’une facette de l’histoire. D’ailleurs, quand ce projet a été présenté au conseil général en 2009, il consistait en un « monument commémoratif des morts et disparus pendant la guerre d’Algérie et pendant les combats au Maroc et en Tunisie, en poursuivant le dialogue entrepris avec les associations ». L’actuel projet est différent et ne concerne que les anciens combattants. Or, les soldats morts aux combats sont enterrés pour beaucoup d’entre eux dans les carrés militaires des cimetières communaux où ils peuvent être honorés, il y a à Clamart déjà une stèle, je cite, « aux 13 clamartois morts pour la France en AFN » au sdu 19 mars 1962 rue des Vignes, et il y a aussi un monument national au quai Branly, qui a lui-même fait l’objet de plusieurs polémiques par l’utilisation que certains veulent en faire.
Je finirai sur la phrase d’un militant pour l’indépendance de l’Algérie : « J’aimais mon pays. Je l’aimais même de toutes mes forces. Mais, j’étais partisan d’un nationalisme non pas étriqué, replié sur lui-même et xénophobe, mais moderne, généreux et ouvert sur le monde extérieur. Comprendre son prochain, respecter ses différences et l’estimer malgré ses défauts, c’est sortir de sa coquille, s’élever au-dessus des cimes, témoigner de l’intelligence du cœur ». Le fils de ce militant est d’ailleurs ici présent dans le public.
Ce sont aussi ces militants et ces combattants-là qui étaient en face des soldats « morts pour la France ». Il faut aussi le rappeler et garder à l’esprit la complexité du monde.
Allons plus loin dans la mémoire, et ne prenons pas le risque de se faire confisquer cette histoire par ceux qui voudraient l’utiliser pour de sombres desseins.
C’est pourquoi le groupe EELV demande le report de ce point, afin d’avoir l’assurance de la part de l’AFN92 que toutes les victimes de la guerre d’Algérie et des combats du Maroc et de la Tunisie figurent sur le mémorial départemental. Si ce report est refusé, mon groupe votera contre la délibération proposée.

report refusé

votes

Contre  : les 5 élus EELV + Rachel Adil

Abstention  : 1 (Ph Waldteufel, PS)

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