Ecologie : le scrutin décisif
Publié en version légèrement raccourcie dans {Politis} n°1054, 28 mai 2009
Ecologie : le scrutin décisif
par Alain Lipietz Député européen
À deux gravissimes exceptions près (le nucléaire et l’agriculture), l’environnement a le rare privilège d’être déjà, dans l’actuelle constitution de l’Union européenne, au régime de la co-décision à la majorité entre le Parlement élu et le Conseil des gouvernements. Le vote du 7 juin sera donc décisif, pour la décennie à venir et pour le restant du siècle, sur deux crises majeures : le changement climatique, et la biodiversité.
On se souvient ([{Politis} n° 1032-art2345]) du vote catastrophique de décembre dernier qui a vu la majorité PPE-ALDE-PSE (en France : UMP-Modem-PS) approuver la capitulation des gouvernements, emmenés par Sarkozy et Merkel, devant la grande industrie polluante. Alors que l’Union européenne s’acheminait vers une baisse de 30% de ses émissions de gaz à effet de serre d’ici 2020, cette coalition a imposé un objectif de seulement -20% , soit un réchauffement de 3 à 4 ° de la planète, bien au-delà de la « ligne bleue » des +2°.
Mais les dés roulent encore, d’ici la conférence de Copenhague, à la fin de cette année. Un combat décisif est engagé entre les partisans d’un « New Deal » à l’ancienne, fondé sur la relance productiviste, et le choix d’un New Deal Vert, faisant face à la gravissime crise écologique qui est à l’origine même de la crise économique mondiale actuelle. De la majorité plus ou moins Verte du Parlement élu en juin prochain dépendra la capacité, pour l’Union européenne, de renverser les choix de Merkel et Sarkozy, et de se lancer enfin vers une « conversion Verte ».
Cette conversion passe par une relance massive de l’activité dédiée aux économies d’énergie (développement massif des transports en commun, isolation de dizaine de millions de logements) et au développement accéléré des énergie renouvelables. Encore faut-il se souvenir qu’il y a énergies renouvelables et énergies renouvelables. Les élus du parti communiste (aujourd’hui Front de gauche) considèrent comme telle l’énergie nucléaire ! Tchernobyl est oubliée, l’irrésistible basculement du nucléaire civil vers le nucléaire militaire (en Corée, en Iran), est ignoré.
Sur le front du climat, la bataille est donc claire, les enjeux identifiés, les procédure existent. Mais tout aussi grave est la crise « alimentation-biodiversité ». La bataille fait rage sur le front des OGM, mais ici, le Parlement n’a pas vraiment tous les pouvoirs décisifs. Les Non français, hollandais, irlandais, l’ont jusqu’à présent privé de deux armes efficaces. D’abord, la possibilité de révoquer, par un vote à la majorité, une « décision de l’exécutif » (de la Commission européenne, présidée par Barroso) telles que par exemple les autorisations données à telle ou telle semence génétiquement modifiée.
Mais le plus grave est bien évidemment l’absence de tout contrôle par les élus des peuples européens sur la politique agricole commune, dans le cadre des traités actuels de Maastricht et Nice. Or la politique agricole commune actuelle dévaste la paysannerie européenne, ruine les paysanneries du Tiers monde, tout cela pour aboutir à une véritable disette organisée qui ravage le monde, multipliant les émeutes de la faim dans les trois dernières années. Sur ce point fondamental, tout va dépendre d’une part du futur cadre institutionnel, d’autre part de la majorité qui se dessinera au Parlement.
Le traité de Lisbonne reprend en effet une autre avancée du TCE : le vote de la totalité du budget « dépenses », y compris celui de la politique agricole commune, par le Parlement. Prenant conscience de ce fait, plusieurs porte-paroles de la Confédération paysanne ont décidé de se porter en position éligible (José Bové, premier dans le Sud-Est, François Dufour, second dans le Nord-Ouest) sur les listes d’Europe Écologie. Encore faut-il que le traité de Lisbonne soit ratifié (et les droites libérales tchèques, polonaise et anglaise vont multiplier les chausse-trappes) et, quand bien même les élus des peuples prendraient-ils le contrôle de la politique agricole commune, encore faut-il que ce soient des élus partisans d’une agriculture paysanne et solidaires du Tiers monde !
En revanche, la bataille est engagée, grâce à un acquis du traité d’Amsterdam : le droit d’initiative législative du Parlement. On se souvient que les trotskistes (Lutte ouvrière et la Ligue communiste devenue NPA) avaient pu bloquer, à quelques voix près, la première de ces initiatives, en faveur de la taxe de Tobin ([{Politis n°586}-art217]. Depuis, plusieurs législations ont pu être initiées par le Parlement européen. L’une d’entre elles a débouché sur une première lecture en toute fin de mandature : la répression sur le trafic du bois de contrebande. Longtemps, la Commission européenne avait traîné les pieds : les douaniers européens ont le droit de saisir les containers de chemises Lacoste de contrefaçon, ils n’ont pas le droit de saisir les cargaisons entières de bois abattus dans les parc naturels du Tiers monde en toute impunité. Nul ne sait quelle sera la réaction de la Commission et des gouvernements au vote du Parlement européen : l’affaire se réglera sans doute au début de la prochaine mandature. Un point d’arrêt sera alors donné – ou pas ! – à la déforestation de la planète.
On pourrait multiplier les exemples. Ainsi la directive REACH sensée identifier les molécules dangereuses, causes de l’explosion des maladies chroniques (asthme, cancer) a été profondément rognée par la majorité sortante du Parlement. Là encore, la majorité du 7 juin sera décisive pour élargir et accélérer la portée de cette directive.
Une grande partie de la presse cherche à convaincre que « les élections européennes, tout le monde s’en contrefiche ». Comme en 2004, TF1 et consorts ont quasiment organisé le black-out sur le débat. Les dominants n’aiment pas que les dominés votent sur ce qui les concerne !
Mais aujourd’hui, la situation est trop grave. À nos petits-enfants qui nous demanderont : « Qu’as tu voté en 2009 ? », nous ne pourrons pas dire : « Je ne savais pas, je m’en suis fichu ».