Nous refusons d’être vidéosurveillés

intervention de Marie Catherine Poirier pour notre groupe d’élu/e/s.

Intervention au CM du 27/2/2013

Points 13 et 14 sur la vidéosurveillance

 Mes cher-e-s collègues, Mesdames, Messieurs,

Nous sommes aujourd’hui invités à nous prononcer sur deux délibérations concernant un dispositif de caméras de vidéosurveillance dont la mise en place est prévue prochainement. Ces délibérations ne concernent pas la décision d’implantation des dites caméras, mais des demandes de subventions auprès de l’État et du Conseil Général des Hauts-de-Seine, pour le financement de ce dispositif et d’une étude d’évaluation de ce dernier après une période de fonctionnement.

 

Tout d’abord, nous ne pouvons que regretter que, pour une décision touchant à des sujets aussi importants que les libertés publiques et la sécurité, le conseil municipal n’ait pas été consulté. L’approbation du principe d’installation de caméras figurait pourtant dans la version du rapport de la question n°13 envoyée à la commission services à la population et démocratie locale pour sa réunion du 20 février dernier. Elle ne figure plus dans la version reçue pour ce conseil municipal. Nous espérons que cette modification n’a pas été réalisée pour faire croire à certaines et certains de nos collègues qu’en votant pour la délibération proposée, elles et ils ne voteraient pas en faveur de l’installation de la vidéosurveillance. De toute façon, mes cher-e-s collègues, nous savons que vous ne seriez pas dupes car vous savez bien que soutenir une demande de subvention pour un projet revient à soutenir ce projet, puisqu’il n’est nul besoin de subvention pour un projet qui n’existerait pas… Vous allez donc voter en toute connaissance de cause.

 

En tout cas, pour ce qui nous concerne, nous estimons que nous prononcer sur ces deux délibérations est équivalent à nous prononcer sur le principe même. C’est donc sur ce principe que nous intervenons.

 

Nous ne nions pas qu’il existe des situations d’incivilités, des attitudes agressives de certaines personnes, des nuisances et notamment du bruit qui fatiguent et stressent des habitants, et qu’il faut trouver des moyens de diminuer le nombre de ces situations ainsi que les tensions qui en découlent.

Mais nous sommes contre l’installation de caméras de vidéosurveillance sur l’espace public, mesure qui diminue les libertés publiques de tout le monde, sans efficacité réelle contre les situations recensées, et pour un coût important pour la collectivité.

 

Nous avons tous reçu le courriel de la Ligue des Droits de l’Homme et du Citoyen et, pour notre part, nous partageons ses critiques, ses doutes et ses questions. Nous avons été renforcés dans notre position par le rappel par cette association à l’histoire glorieuse de principes fondamentaux sur les droits de l’homme et du fait, je cite, « qu’une jurisprudence constante n’accepte une mesure limitant les droits que dans la mesure où elle est proportionnée, permet réellement d’atteindre un but légitime proposé et lui seulement ».

Or, nous estimons :

  • que le dispositif de caméras mobiles (ou plus précisément déplaçables) limite sur le principe la liberté fondamentale de circuler sans entrave ni surveillance, comme le dit la LDH dans une brochure qu’elle a éditée sur le sujet

  • que nous n’avons pas de garantie réelle sur l’absence de surveillance des propriétés privées puisque c’est le prestataire qui devra apporter cette garantie par des « masques de zones privatives »,

  • que cette limitation des droits est disproportionnée par rapport au but recherché, qui n’est d’ailleurs pas très clairement défini. En effet, dans le document de consultation du quartier Centre, il est question de : « lutter contre le regroupement d’individus qui sont parfois sources d’incivilités, de nuisances et de dégradation » et dans le rapport d’aujourd’hui, il est dit « afin de lutter contre les incivilités, il convient de protéger les installations et bâtiments publics et leurs abords et de prévenir les atteintes à la sécurité des personnes et des biens », ce qui est en partie différent.

 

Nous savons que le positionnement que j’exprime ici peut être considéré par certain-e-s comme très théorique et loin des préoccupations de nos concitoyen-ne-s mais nous le complétons comme suit :

  • persuadés que cette mesure est inefficace, nous ne voulons pas donner à nos concitoyen-ne-s l’illusion qu’elle va mettre fin à leurs difficultés. Un dispositif dont les enregistrements ne peuvent être utilisés que dans le cadre d’une enquête judiciaire ne servira pas à lutter contre les fauteurs de bruit, par exemple,

  • persuadés que cette mesure est inefficace, nous estimons qu’il est inutile que la mairie de Clamart y consacre plusieurs dizaines de milliers d’euros par an, même si une partie est financée par l’État ou le conseil général des Hauts-de-Seine : dans tous les cas, il s’agit de financements publics qui pourraient être plus utilement utilisés dans une période où la crise touche tant de nos concitoyen-ne-s et où les économies sont recherchées de toutes parts,

  • persuadés que cette mesure est inefficace, nous constatons ne pas être les seuls. Dans Clamart Infos de février 2013, il est dit que « cette proposition a été très favorablement accueillie par les habitants consultés » mais il apparaît que seules environ 180 personnes sur les milliers d’habitants du quartier consulté ont répondu être pour cette mesure, ce qui relativise l’enthousiasme présenté. Par ailleurs, à ce jour, aucun autre quartier n’a été consulté alors que les lieux prévus pour l’implantation de caméras devront être déclarés à la Préfecture.

 

Certains diront qu’il y a déjà des caméras dans des lieux publics de Clamart. Il y en a en effet dans les parkings publics et les médiathèques. Toutefois, ces lieux publics fermés ne sont pas « l’espace public ». Dans ce dernier, tout le monde passe et doit pouvoir passer sans surveillance, sauf à ne plus pouvoir sortir de son domicile.

 

Nous tenons à préciser ici que notre position sur l’inefficacité du dispositif prévu par rapport aux objectifs présentés ne signifie évidemment nullement que nous sommes pour plus de caméras de vidéosurveillance, contrairement à ce que souhaite M. Berger. Celui-ci, dans un tract récent consacré à « la sécurité » dit vouloir « recourir à la vidéo protection » en expliquant que « cette mesure donne des résultats significatifs » :

  • « avant [car] elle dissuade les délinquants » : ceci est faux, car les vrais délinquants s’adaptent très rapidement aux nouvelles technologies. De plus, après l’enthousiasme des débuts, des villes comme Miami et Atlantic City aux États-Unis ont décidé d’abandonner la vidéosurveillance généralisée à cause de son manque d’efficacité,

  • « pendant [car] elle permet d’intervenir immédiatement : or il n’y a pas plus de garantie d’intervention immédiate avec des caméras que quand un être humain appelle la Police en étant témoin d’un délit. Tout est question de moyens humains d’intervention de la Police Nationale, pas de nombre de caméras,

  • « après [car] elle facilite le travail de la police et l’identification des fautifs » : c’est le seul point où il peut y avoir parfois des résultats positifs, mais seulement dans les cas où le délit a eu lieu dans le champ de la caméra et où le délinquant ne s’est pas caché… autant dire rarement. On voit là que la caméra n’empêche pas le délit donc ne « protège » pas les personnes et les biens mais peut servir a posteriori car elle « surveille » : le mot exact décrivant cette fonction est donc bien « vidéosurveillance » et non « vidéoprotection »…

 

M. Berger parle aussi de « bonne gestion de l’argent public » en expliquant que :

  • « de nombreuses subventions existent pour financer » des caméras : rappelons que les subventions sont de l’argent public, donc payées également par les impôts de nos concitoyen-ne-s,

  • « le retour sur investissement est rapide » car il y a moins de dégradations coûteuses : il faudrait qu’il présente ses calculs… L’évaluation d’une couverture de Clamart par un système de vidéosurveillance généralisé conduit à estimer le nombre total de caméras à plusieurs centaines, l’investissement à plusieurs millions d’euros et le fonctionnement annuel à plusieurs centaines de milliers d’euros. Les dégradations actuelles sur l’espace public ne conduisent pas à de telles dépenses… Cela signifie donc que M. Berger, pour être complet dans sa présentation, devrait dire de combien il augmenterait les impôts pour financer ce dispositif, en plus d’un police municipale telle qu’il la conçoit, ou quels services publics il supprimerait,

  • « la sécurité des biens et des personnes est aussi un gage d’attractivité pour les entreprises » : aucune entreprise n’a renoncé à venir à Clamart pour raison d’insécurité. La raison principale pour laquelle des entreprises hésitaient, jusqu’à maintenant, à s’installer à Clamart, était la desserte en transport en commun. La mise en service du tramway T6 l’an prochain a déjà permis de débloquer certaines décisions, comme le montrent les arrivées prochaines de plusieurs grosses entreprises le long de la D906.

 

 

En conclusion, nous attirons l’attention de nos collègues élu-e-s sur les dangers qu’il y a à jouer avec les peurs de nos concitoyen-ne-s, à les utiliser comme outils de propagande électorale. Toute étape qui peut paraître peu importante et anodine peut être une étape franchie vers une société dont nous pensons qu’aucune et aucun d’entre nous ne veut réellement. Toutefois, les débats sur la sécurité en général et la vidéosurveillance en particulier rappellent trop souvent certaines visions d’une telle société : la surveillance généralisée et la novlangue qui consiste à utiliser le mot vidéoprotection au lieu de vidéosurveillance évoquent trop la société de « 1984 » de Georges Orwell pour ne pas nous faire réfléchir aux conséquences de nos paroles et de nos actes, nous qui avons choisi de prendre des responsabilités dans l’organisation de la société.

 

Mes cher-e-s collègues, nous vous demandons seulement d’y penser quand vous voterez. C’est avec conviction et en prise avec la réalité que nous voterons contre ces deux délibérations. Je vous remercie de votre attention et profite de cette occasion pour remettre publiquement à notre maire la brochure de la LDH sur la vidéosurveillance que j’ai évoquée.

 

 

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